Il commence à faire nuit sur Venise, trois fois rien, juste un coup de crayon marine dans le ciel blanc de cette journée de mars. Trois fois rien mais c'est assez pour que mes antennes se dressent. J'ai passé la journée à courir après le temps, une fois de plus. Le nez entre de touche du clavier de mon téléphone, les bras chargés d'une tonnes de dossier, je suis passée d'un pont à l'autre, d'une porte à l'autre. Commander des fleurs pour la fête de la semaine prochaine, régler le traiteur, négocier le tarif de la salle pour l'anniversaire de Leo, rendre un papier en journalisme, écouter les requêtes de ma petite sœur pour les prochaines vacances. Le téléphone vibre éternellement dans ma main, de temps à autre je daigne décrocher. La loi du hasard. Je coince alors le téléphone entre mon oreille et mon épaule et manque de tomber tous les deux mètres. Je n'ai jamais été la reine de l'équilibre, ni une bien grande funambule surtout les bras chargés ainsi. Il me suffit de peu pour commencer à tituber et toujours perchée sur des talons à hauteur respectable, je perds encore du peu de mon assurance. Avant de me ridiculiser devant tout le monde, je laisse tomber mon fardeau sur la première table du premier bar venu. Un joli sourire pour réparer le dérangement causé au jeune homme fumant sa cigarette et sirotant son café tranquillement. Si j'ajuste mes cheveux, je suis sûre qu'il partira sur le champ pour me laisser sa place, mais je n'ose pas le déranger plus longtemps. Docilement, je raccroche après avoir expédié une fois de plus mon interlocuteur. C'est là, à ce moment, que je lève la tête pour admirer le ciel crayonné qui s'offre à moi. Il fait presque nuit, je peux arrêter de bosser et pousser la porte du premier bar venu, je suis presque sûre de connaître quelqu'un dans chacun d'entre eux. L'envie irrésistible de jeter à l'eau tous mes dossiers et de finir le chemin pieds nus. Bien sur je résiste, persuadée que quatre paires d'yeux et au moins autant de téléphones seront prêts pour me prendre en photo. Paranoïa ? Quelque chose dans ce goût là en tout cas. J'adresse un dernier sourire d'excuse au jeune homme à la table, récupère tant bien que mal mes dossiers - avec son aide - puis repart. Plus lentement cette fois, une démarche souple, calme, la bouche légèrement pincée, à peine dressée sur la pointe des pieds, comme une petite fille prenant son temps pour choisir le prochain bonbon dont elle va s'emparer. Je cherche rapidement une idée, un endroit qui me fera enfin respirer, qui ne m'obligera pas à commander une boisson sophistiquée, à remettre du rouge à lèvre et à sourire sagement assise au bout de ma chaise le dos bien droit comme une danseuse échappée de son conservatoire. Avant moi, mes pas me guident. Ils ont compris en premier, je ne fais que les suivre. Obéir. Ils savent où ils seront le mieux. Ce joli bar près de l'eau, avec ces petites tables rondes en fer et ces chaises un peu rouillées. Dès que la nuit tombe, toutes les tables sont bondées, il faut prier pour trouver un endroit où s'assoir. Parmi tous les bars du centre ville, c'est celui que j'aime le plus parce que je suis sûre de n'y croiser presque personne. J'entends, presque personne qui n'aient besoin d'organiser quelque chose, de prendre un cours ou de me demander la marque de mes chaussures. Souvent, j'y retrouve des élèves qui suivent les même cours que moi mais avec qui je n'ai jamais le temps de parler d'autres choses que du dernier devoir à rendre, c'est alors le moment et l'endroit. Un groupe d'étudiant se tient devant la porte, l'un d'entre eux m'ouvre la porte. Un sourire. Je me hisse sur la pointe des pieds, à la recherche d'une tête connue mais d'abord ne vois personne. Puis, petit bout de femme, assise près de la fenêtre, un verre à la main. Petit sourire que je connais par cœur, cascade de cheveux bruns un peu en bataille, adorable frimousse à qui l'on doit demander sans cesse sa carte d'identité pour entrer dans les bars, j'aperçois Tamara. Un sourire. Franc, complet, pétillant. Je me précipite vers elle et me laisse tomber sur la chaise libre. En posant ma pile de dossier à côté, je fais trembler un peu la table. Haussement d'épaule, l'air de rien. Tami a l'habitude de ce genre de dégâts quand je me pointe. « Surpriiise petit BB! » Je sirote une gorgée de son verre. Un à un, mes muscles endoloris se décontractent, je m'affale un peu sur ma chaise, pas vraiment digne d'une princesse. C'est ce que j'aime aussi chez Tamara: elle s'en fiche. Elle n'arquera pas son sourcil lorsque je commanderais de la bière, ne grimacera pas si j'écaille mon vernis ou si je me ronge un ongle. « Comment t'as réussi à rentrer ? Les bouts d'chou font dodo à cette heure ci! » Je lui envoie un baiser dans l'air en me reculant un peu sur ma chaise. On sait jamais, les petits bouts ont toujours plus de forces lorsqu'ils vous envoient leurs petits poings dans l'épaule..
Il y en a qui sont faits pour commander et d'autres pour obéir. Moi je suis fait pour les deux : ce soir, j'ai obéi à mes instincts en commandant une deuxième vodka. Saffi & Tamagotchi
LIBERTÉ, ÉGALITÉ, BEYONCE.
La journée se terminait est déjà, on pouvait appercevoir le ciel s'assombrirent. T'aimais ces moments là. Quand le soleil perdait de son éclat pour laisser place à une ombre enveloppant la ville entière. Quand les gens rentraient chez eux laissant les ruelles vides et froide. Un peu morbide mais totalement attrayant de ton point de vue. T'étais différente des autres. T'aimais le noir, le silence et surtout pouvoir t'échapper de ce pensionnat pendant quelques heures. C'était pas toi, c'était pas ton monde. Toi t'étudiais l'astrologie. Tu rêvais pas de faire de grande chose. Tu voulais pas devenir le genre d'étoile que tout le monde admirait. La liberté, le calme, l'invisibilité. Tellement plus reposant. Donnant beaucoup plus de possibilité. Les yeux rougis par le froid, tu longeais le bord de l'eau chantonnant une mélodie comme à chaque fois que tu étais de bonne humeur. Ta journée n'avait pas été différente de celle de d'habitude. Toujours les mêmes rengaines. T'avais séchée la moitié de tes cours pour être avec Nystéria. Pendant ce temps là vous aviez imaginés des plans tous plus diaboliques les uns que les autres et pendant la pause repas, vous aviez taquinés les meneuses de claques. Par pure méchanceté ouais, mais tu te foutais totalement de ce que les gens pouvaient penser de toi. D'ailleurs les apprioris te faisaient la plupart du temps mourir de rire. En premier lieu, tout le monde te prenait pour la pauvre petite fille innocente. Ton visage de bébé, tes joues encore un peu trop ronde et ta petite taille laissait penser que tu étais totalement inoffensive. Dans les premiers temps, ça t'avais énervée mais, maintenant, tu le tournais plutôt à ton avantage. Parce que personne ne te voyait venir. Personne ne pouvait penser que tu étais capable des pires coups bas. Au final, les gens avaient finit par te cerner. Diabolique et ô combien manipulatrice. T'étais digne d'une grande actrice et c'était pas pour rien que tu faisais partie de la troupe de théâtre. Un rire discret sortit de ta bouche tandis que tu rentrais dans le quartier calme de San Marco. Quoi de mieux qu'un petit verre pour décompresser après une dure journée ?
Le centre ville était l'un de tes endroits préférée. Parce qu'il était toujours noir de monde et que ça te permettait d'observer les gens pour remarquer le moindre de leur défaut. Puis aussi parce qu'à ce moment là, des tonnes de rumeurs circulaient. Non pas que tu en étais friande mais, il était parfois bien pratique de se tenir au courant pour détruire les personnes insupportables qu'étaient les populaires. Alors t'écoutais toujours tout. Et personne ne faisait attention à toi. Personne sauf les employés du bar. Mais comme par habitude, tu avais anticipée brandissant ta carte d'identité presque machinalement. Dix huit ans c'était la majorité et tu les avais. Il était agaçant que les gens te croient toujours beaucoup plus jeune que ce que tu n'étais. Et pourtant, la même scène se reproduisait à chaque fois. Le serveur bafouilla quelque mot incompréhensible mais l'amabilité, c'était pas ton truc. Cela ne l'avait jamais vraiment été d'ailleurs alors tu te contentais de rouler des yeux poussant un soupir exaspéré. Tu te foutais de ses excuses, tu voulais juste rentrer. La terrasse était déjà pleine à craquer et tu n'avais d'autre choix que de t'installer à l'intérieur. Tu te faufilais à travers la foule et te trouvais finalement une place près d'une fenêtre un peu à l'écart des autres. Chose parfaite, tu détestais te sentir étouffer. La même scène se rejoua au moment de ta commande. Un nouveau serveur regardait ta carte d'identité sous tout ses angles essayant de trouver la chose qui prouverait qu'elle était fausse et toi tu pianotais frénétiquement du bout de tes doigts sur la table lui montrant à quel point il pouvait t'agacer. Il faudrait que tu te décides à choisir un seul bar. Histoire de devenir une habituée et de ne plus te faire emmerder. Une vodka kiwi. Pas de formule de politesse. Rien. Il t'avais bien assez fait perdre ton temps comme ça pour que tu te montres en plus polie.
Tu fermes les yeux l'espace de quelques secondes comme pour t'évader et quand tu les ré ouvrais, une tornade brune jaillit en ta direction. Saffi. Le genre de fille que tu n'est pas censée aimer mais qui fait toute la différence. La seule pour qui tu fais des exceptions. Populaire ? Oui, elle l'est. Saffi la petite princesse. Arrogante et prétentieuse ? Aucunement, tu ne l'aurais pas supportée sinon. Elle était différente et t'aimais ça. Elle ne se la pétait pas. Elle ne rabaissait pas les autres et c'était bien la seule raison qui avait finit par nouer des liens entres fou. Elle n'était pas méchante alors pourquoi la haïr ? Bien sûr, vous veniez de deux mondes assez différents alors souvent, au pensionnat, vous feignez l'indifférence mais petit à petit, tu avais finis par rentrer dans son cercle d'ami. Et même si tu restais l'éternel looseuse, t'avais finit par apprécier chaque membre de ce groupe. Je ne suis pas un petit bébé. Tu secouais la tête légèrement et esquissais un sourire quand toute la table trembla à son arrivée. Du Saffi tout craché. Maladroite au possible quand elle s'y mettait. En guise de première réponse suite à sa remarque tu lui faisais un doigt lui signifiant à quelle point tu l'aimais. De toute manière t'étais vulgaire et elle le savait. Parfois, tu te demandais pourquoi elle t'appréciais. Parce que t'avais rien de classe ou de distinguée. Tu pouvais même te comporter comme un vrai mec ce qui jurait pas mal avec ton physique d'enfant adorable. Et ou est ta bande de coincée du cul ? Peut être qu'ils se plient en quatre pour madame la princesse ? Tu tirais la langue et riais légèrement. Avec elle, c'était jamais méchant. De simple petite taquinerie dont vous aviez l'habitude de pratiquer. Tu bois quoi ? Je t'invite votre altesse.